Réponse du Patriarcat arménien de Turquie à la déclaration du Parlement allemand

Nous publions ci-dessous le message du Patriarcat arménien de Turquie, sous la forme d’une lettre au Président de la République de Turquie, en réponse à la déclaration du Parlement allemand du 2 juin, reconnaissant le “génocide arménien”.

Il est réconfortant de lire ces mots de paix et de réconciliation, dignes du plus haut représentant de l’Eglise arménienne de Turquie. On souhaiterait que le Pape, qui ressort à toute occasion médiatique les mots de “génocide arménien”, provoquant inutilement la Turquie, en fasse de même. Si l’on y ajoute ses appels pour l’union des chrétiens d’Orient et d’Occident, le mot de croisade revient à l’esprit, comme vient de le souligner un ministre turc. 

En opposition aux activistes de la diaspora, qui cherchent à imposer leur lecture de l’Histoire en instrumentalisant les politiciens et les parlements, il ressort des propos de l’Archevêque arménien que les politiciens ne peuvent s’attribuer le rôle d’historien ou de juge, ils n’en ont pas la compétence. 

On voit encore une fois que les militants arméniens de la diaspora et ceux qui les soutiennent en Occident, en alimentant sans cesse le feu de la discorde et de l’inimitié, constituent un obstacle important au rapprochement entre la Turquie et l’Arménie. 

Nous remercions M. Gilbert Kotchian pour son aimable mise à disposition de la traduction française ci-dessous du texte original en turc.

La Rédaction

 

Monsieur le Président de la République,

La décision prise par le Parlement de la République fédérale d’Allemagne concernant des événements survenus lors d’épisodes tragiques de la Première Guerre mondiale a profondément attristé notre peuple. Nous souhaitons faire part à votre Haute autorité que la communauté arménienne de Turquie partage cette tristesse au plus profond de son cœur.

Le Patriarcat arménien de Turquie est une institution religieuse qui s’est donné pour mission d’être le représentant et de traduire les sentiments des citoyens turcs chrétiens d’origine arménienne, qui se sont libérés du complexe de se sentir marginalisés par rapport au reste de la population et sachant défendre leurs droits dans le cadre de la justice et des lois. Notre Patriarcat est conscient que sa prise de position équilibrée, conforme à sa ligne traditionnelle, ne plaira pas à certains. Nos défunts Patriarches, qui ont œuvré dans cette sainte institution, nous guidant par leur propos et leur comportement constructif, ont non seulement servi spirituellement notre communauté, mais sont entrés dans l’Histoire par leur attitude positive et exemplaire pour ses membres. L’attitude exemplaire de nos grands prédécesseurs nous sert de guide aujourd’hui également.

Dans ce contexte, il est inacceptable que le Parlement allemand, assemblée élue avec pour mission de légiférer pour la paix, la prospérité, la sécurité, en bref pour assurer la protection et la sérénité de ses citoyens, exprime une opinion sur un sujet qui ne relève pas de sa compétence et légalise cette opinion au nom du peuple allemand, commettant la grande erreur de s’attribuer le rôle de juge.

Monsieur le Président de la République,

Les Arméniens de Turquie sont les descendants de ceux qui ont vécu ces jours douloureux et tristes. Le message de condoléances transmis cette année par Votre Excellence exprimait que  “Ainsi que l’exigent les connaissances historiques et le droit humain, nous continuerons à honorer et faire nôtre la mémoire des Arméniens ottomans, et à rappeler que Turcs et Arméniens ont partagé durant plus de mille ans la culture du vivre ensemble”. Notre Patriarcat a agi, à de nombreuses occasions, dans le sens de vos paroles et continuera de le faire à l’avenir également.

Passer en quelques mots sur le rôle funeste de l’Empire allemand dans ces événements tragiques, et, allant plus loin que porter des accusations contre la Turquie ottomane, la déclarer purement et simplement coupable, constituent une attitude contestable sur le plan éthique. De plus, la question de savoir à quel point la promulgation de cette loi traduit le sentiment du peuple allemand, peut faire débat.

Comme nous l’avons exprimé à de multiples occasions, l’instrumentalisation sur la scène politique internationale du traumatisme que la douleur a infligé au peuple arménien, est une vraie source de douleur et de tristesse. Cette loi qui a été votée, et par ailleurs d’autres lois de même nature, nous blessent profondément. Nous déplorons que la souffrance du peuple arménien, inscrite dans les pages de l’Histoire, soit utilisée sur la plate-forme de la politique internationale comme un instrument pour accuser et punir le peuple turc et la Turquie. Cette vision grossière et biaisée a pour conséquence de heurter l’identité arménienne et turque de la communauté arménienne de Turquie. Ceux qui applaudissent le vote de cette loi, ou de lois similaires, entrouvrent une fenêtre, nous dévoilant la réalité d’un autre monde. Et ceux qui ont des oreilles pour écouter, perçoivent l’écho que renvoie ce monde, nous faisant entendre comment le peuple arménien a été instrumentalisé par les forces impérialistes.

Les peuples turc et arménien partagent la même géographie. Ces deux peuples, anciens et voisins, ne doivent pas être séparés par des discours de haine et d’hostilité, et, au lieu de politiser l’histoire, l’on doit travailler dans un but de paix et d’amitié. Ces deux peuples, qui sont voisins et qui ont une histoire et des traditions communes, respireront un jour le même air de l’amitié. Il suffit pour cela que ce futur ne soit pas considéré comme impossible et que ne soient pas semées des graines nuisibles. Un jour viendra où ces deux peuples ensemble arracheront la mauvaise herbe de leur champs et y sèmeront le blé. Et ne se contentant pas de cela, ils partageront le pain fait du blé de ces champs, comme gage de leur amitié et leur affection.

Dans un monde où les politiciens s’expriment sur les souffrances de notre peuple selon leur compréhension et leurs calculs politiques, notre Patriarcat pour sa part continuera à prier pour l’amitié et les relations de bon voisinage entre la Turquie et l’Arménie. Notre position est tout autant une exigence de notre foi que l’expression de sentiments en tant que citoyens. Nous savons en même temps que notre position ne sera pas perçue d’un œil positif par certains. Que Dieu œuvre dans le cœur des citoyens des deux pays ! Que Dieu aide ceux de ses enfants qui sont déterminés à bâtir le Bien et le Beau !

Nous saisissons cette occasion pour vous faire part à nouveau de notre tristesse. Nous prions Dieu pour qu’il accorde santé, réussite et bonheur à Votre Excellence. Nous prions aussi le Tout-Puissant pour la réussite de notre Etat au service des gens de ce pays.

Avec l’expression de notre plus haute considération.

Aram Atechian, Archevêque
Vicaire général du Patriarcat arménien de Turquie
Istanbul, 7 juin 2016

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